Réplique à la lettre ouverte

Réplique à la lettre ouverte
par Pierre Beaudet
(October 7, 2005)

Bonjour

J'ai pris notes de vos observations.

Je suis d'accord avec vous que la longue crise haitienne, qui date depuis beaucoup plus longtemps que la derniere annee, trouve son origine dans un conflit complexe en bonne partie determine par la determination des divers imperialismes a maintenir leur domination. C'est clair que pour les Etats-Unis, il importe d'empecher Haiti de se developper. En meme temps depuis quelques annees, l'imperatif numero un est d'eviter un exode d'Haitiens (boatpeople). Sans nul doute, Washington a aussi joue un role largement negatif dans le premier coup d'etat contre Aristide, ce qu a quand meme brise un processus de mobilisation populaire qui semblait prometteur. Par la suite apres le retour d'Artistide et la degringolade generale qui s'est acceleree, les Etats-Unis mais aussi les autres pays occidentaux dont le Canada n'ont pas vraiment aide a un retablissement de la situation. Et pour cela ils sont condamnables.

Quant au renversement d'Aristide dans les conditions que l'on connait, j'ai deja ecrit que cela ne menerait probablement pas a l'amelioration de la democratie et du respect des droits en Haiti. Une fois dit cela et d'apres les informations dont nous disposons (les sources sont abondantes comme vous le notez vous-memes), il y a eu aussi d'autres causes, davantage internes, dans l'evolution catastrophique des dernieres annees. Je ne pense pas, a cet egard, qu'on peut comparer ce qui s'est passe en Haiti avec ce qui s'est passe au Chili de 1970 a 1973, ou au Venezuela aujourd'hui. Il me semble que s'il y a des comparaisons, cela serait plus semblable a ce qui s'est passe au Zimbabwe, ou un regime populiste, au depart appuye par la population sur la base d'un programmme (flou) de transformation sociale, a derive dans une logique autoritaire, sans etre capable de proposer des sorties de crise repondant aux aspirations de la population.

Les deux processus, crise interne et pression de l'imperialisme, sont lies l'un a l'autre, on pourrait dire qu'ils se nourrissent l'un de l'autre. L'enchevetrement des causes est complexe et laisse parfois les acteurs politiques (y compris de gauche) perplexes. Je pense qu'un grand debat sur Haiti est necessaire et de toutes facons, il est deja en cours en Haiti meme. Autant que possible, au lieu de passionner un debat tres charge, notre tache, plutot modeste, est d'essayer de comprendre et aussi d'agir en solidarite. Je ne pense pas qu'il y a une seule opinion, un seul point de vue, une seule analyse et dans ce sens, je suis content que vous participiez a ce debat. Seulement, il n'est pas necessaire de traiter ceux qui ne pensent pas comme vous de traitres, de vendus a l'imperialisme, etc. Sur cette question comme sur d'autres, il faut reapprendre de maniere ouverte, pluraliste, de gauche, une culture du debat et du respect.

Enfin sur la question de nos liens avec le gouvernement canadien. Alternatives est une organisation independante qui essaie de penser pour elle-meme, sans necessairement penser que tout le monde en son sein doit penser de la meme facon. Oui nous negocions des projets de co-financement avec le ministere de la cooperation, comme une centaine d'autres institutions (ONG, syndicats, universites, etc.), dans un contexte ou l'acces aux fonds de cooperation est un droit et non un privilege, et sans prejudice aux positions des organismes qui peuvent critiquer ou non la politique du gouvernement canadien, si c'est cela qu'ils veulent exprimer. C'est ce qui explique que nous avons pu participer a des debats critiques, que cela soit sur l'integration des Ameriques, Haiti, la Palestine, l'Irak, etc. sans nuire a nos demarches pour obtennir des fonds qui comme vous le savez sont destines a des initiatives populaires dans les pays du tiers monde. Je considere en tout cas que cette possibilite pour les ONG d'agir est un droit acquis important qui s'inscrit dans des luttes et des revendications pour democratiser les institutions et assurer le pluralisme dans notre societe.

Merci de votre attention.

Pierre Beaudet